Dans l’atelier de Michael Matthys
Artiste peintre originaire d’un Charleroi noir, Michael Matthys produit des images fortes qui hantent son univers. Avec actuellement une plongée dans les ténèbres du romancier Joseph Conrad, entre fusain, encre et sang. Conversation et immersion dans l’intimité de cet artiste réservé, mais généreux.
Bonjour Michael. Si tu nous parlais de ton enfance à Charleroi… Ton Charleroi ?
Michael Matthys : « Je suis né à Charleroi, j’ai vécu à Mont-sur-Marchienne. C’est important là où j’ai grandi car ma maison d’enfance était située près des terrils. Mon jardin était en fin de compte un terril. On montait tout au-dessus. On avait cette vue incroyable et toujours ce bruit de haut fourneau. C’était assez extraordinaire. C’était une réalité, notre réalité. Si bien que le dimanche quand mes parents nous emmenaient ici à Thuillies, nous disions que nous partions à la campagne. C’était très vert, c’était autre chose, c’étaient les vacances ! Il y avait vraiment un contraste entre les champs d’un côté et cette atmosphère lourde, minière de l’autre. Mon enfance, c’était ça : un univers assez noir. J’y suis retourné d’ailleurs, il n’y a pas très longtemps prendre quelques photos. Et c’est un endroit terrible ! Il y a des marécages, c’est très glauque. »
Ensuite, quel a été ton parcours ?
M. M. : « Quand mes parents ont divorcé, je me suis retrouvé livré à moi-même très jeune. J’ai décidé d’aller à l’internat. Cela m’a permis de sortir un peu de cette ambiance. J’ai ensuite fait des études à Tournai, à l’Académie. Avant, j’ai traîné un peu à Bruxelles. Le fait d’arriver dans des écoles, de rencontrer des gens, ça m’a fait du bien ! C’est là que je me suis rendu compte que Charleroi était une ville dure et spéciale. Quand j’ai terminé mes études, j’y suis revenu et j’ai compris que je devais y consacrer mon travail et à la sidérurgie. Je trouve ça vraiment formidable d’être carolo et d’avoir tenu dans un milieu comme celui-là. Je pense aussi que c’est la force de chaque Carolo : ce côté industriel, qui ressort d’une façon ou d’une autre… »
C’est pour cette raison que tu as installé ton atelier à Thuillies, en périphérie carolo…
M. M. : « Cela fait 18 ans que je suis installé ici. On n’est pas loin de Charleroi et en même temps, on est excentré. Je ne sors pas beaucoup, je me sens bien ici. Mon atelier est installé juste au-dessus de ma maison. Il y a de tout. C’est un mix entre un grenier, un atelier et une salle de jeux pour mon fils qui a 8 ans. Les gens qui passent s’y sentent, en général, assez bien. Mon galeriste, Jacques Cerami, vient souvent. Il est comme chez lui. Il marche, il prend deux ou trois photos et il s’installe. L’endroit est propice pour se laisser aller, pour rêver, pour s’ouvrir à tous les possibles. »
Comment organises-tu tes journées ? Quelle place accordes-tu au quotidien à la création ?
M. M. : « Je rentre de l’école, je dépose mon sac et je viens me poser dans mon atelier. C’est important pour moi que mon lieu de vie et mon lieu de travail soient attachés. Le travail n’est jamais terminé. Parfois je ne travaille pas, je reste ici, je réfléchis et l’inspiration vient… On est toujours habité, on a toujours ce besoin d’être en contact avec son œuvre. »
Donc tu enseignes également ?
M. M. : « Je donne cours de dessin à l’École Supérieure des Arts de la Ville de Liège. J’aime ça. C’est important pour un artiste. Ce qu’on vit maintenant n’est pas évident. Même socialement, un artiste est souvent isolé. Il va en expo, il montre son travail, mais le fait de pouvoir partager son expérience et de pouvoir former des jeunes, c’est vraiment un plus. C’est extraordinaire même, c’est une chance inouïe. Il y a quelque chose qui se passe : on sort un peu de cette course, de cette individualité d’artiste, on s’ouvre à autre chose. Cette jeunesse innocente est passionnante. »
Le fait d’enseigner, de te frotter à cette jeunesse, nourrit-il ton travail d’artiste ?
M. M. : « Il y a un réel échange qui se produit avec mes élèves. Durant les périodes de jury par exemple, on est invité à juger leur travail et parfois, quand on rentre chez soi, on est absorbé. On n’est pas là juste pour voir et critiquer, c’est bien plus que ça, c’est tout un processus. À chaque moment de la vie, il est important de se remettre en question. Donc, oui, mon travail évolue. Et surtout avec ce que l’on est en train de vivre pour l’instant. Cette crise remet tout en question. Elle va faire évoluer chez tout le monde notre façon de voir les choses. »
Tu nous dévoiles ton atelier. Accepterais-tu de nous dévoiler aussi les projets sur lesquels tu planches actuellement ?
M. M. : « Je prépare depuis des années un travail sur l’Afrique avec plus de trois cents planches pour illustrer le roman de Joseph Conrad intitulé "Au cœur des ténèbres". C’est un projet fou fait avec du fusain, de l’encre et du sang, qui prendra bientôt la forme d’un livre dans la lignée de mon précédent projet sur Charleroi, "La ville rouge". »
Michael Matthys est représenté par la galerie Jacques Cerami : www.galeriecerami.be
Texte : Marie Hocepied
Photos : Olivier Bourgi
Cet article a été réalisé avec le soutien de En Mieux.